Collectionner les billets en euros



Il me faut admettre que si les euro-billets de la série actuelle n’ont ni âme ni beauté, surtout pour ceux qui considèrent que le plus beau billet du monde est le 10 000 Francs Bonaparte, ils sont absolument passionnants. Jamais, dans l’histoire du billet, une émission n’a été aussi complexe, aussi riche et variée et avec d’aussi nombreuses déclinaisons de collections. C’est proprement stupéfiant. Bien évidemment, aucune information – ou presque – n’est officiellement disponible et nous avons dû trier plus de trente mille billets usagés pour reconstituer ce qui était initialement en circulation. Mais quels résultats !

Commençons par le plus simple, une collection limitée aux valeurs faciales. Du 5 au 500, sept billets, facile quoique déjà coûteuse avec les 100, 200 et 500.

Ensuite, on peut collectionner en incluant les pays. Il y a actuellement quinze pays qui en théorie ont la possibilité l'émettre toutes les valeurs et douze qui ont effectivement émis en utilisant les lettres leur ayant été attribuées par la BCE. On se trouve donc déjà à la tête d’une collection théorique de 96 billets, différents par la faciale et le pays d’émission.

Pour continuer, on peut introduire la variante des imprimeurs et des signatures. Chaque billet porte un code de la forme « lettre chiffre chiffre chiffre lettre chiffre » où la première lettre indique l’imprimeur du billet. Nous avons actuellement quatorze imprimeurs ayant fabriqué des billets, certaines valeurs faciales étant fabriquées par plusieurs imprimeurs, voire avec plusieurs signatures, ce qui nous donne donc 136 billets différents en collection. C’est le choix de numérotation que nous avons fait : il semble un minimum de considérer comme différents des billets qui n’ont ni même faciale, ni même pays, ni même imprimeur, ni même signature.

On peut pourtant aller plus loin car, toujours dans ce fameux code, les trois chiffres suivants indiquent la plaque de fabrication. Si de très nombreuses faciales de petits pays n’ont qu’une seule plaque d’émission, d’autres en ont déjà jusqu’à soixante-six différentes. Nous atteignons, pour qui veut tous les billets de tous les pays avec tous les imprimeurs différents et toutes les émissions, une collection de 669 billets (chiffre réel fin 2008) ce qui est quand même très impressionnant pour une numismatique encore jeune !

Mais ce n’est pas tout ; on peut aller beaucoup plus loin ! La dernière lettre et le dernier chiffre du code indiquent la position du billet dans la feuille. On peut donc reconstituer, pour une faciale, un pays, un imprimeur et une émission donnés, toute la feuille telle qu’elle a été imprimée…Il existe plusieurs formats de feuilles, selon les imprimeurs et selon les faciales. Chercher à compléter les feuilles pour tout ce que nous avons déjà vu nous amène à un total de plus de 20 000 billets. Terrifiant, non ? Non, ce qui est vraiment terrifiant, c’est le futur.

Depuis mai 2004, l’Union Européenne compte dix pays de plus et deux autres l’ont intégrée en janvier 2007. Chypre et Malte, la Slovénie et la Slovaquie sont déjà dans la zone Euro et d’autres y seront bientôt ; dans très peu de temps, ils produiront donc eux aussi des billets, comme c’est déjà le cas de la Slovénie... À chaque fois, la multiplication par les imprimeurs et les émissions reprend… Trois pays de la Communauté refusent la monnaie unique : Suède, Angleterre, Danemark. Les populations sont encore très rétives au vu des grands pays - France et Allemagne - qui renient leurs engagements de Maastricht sur la dette et le déficit. L’entrée de ces pays serait d’une grande importance pour la collection d’euro-billets car chacun dispose d’un imprimeur déjà accepté par la BCE et que le jeu des appels d’offres pourrait faire que la Banque d’Angleterre, la Banque nationale du Danemark ou AB Tumba Bruk de Suède impriment des billets pour d’autres pays de la Communauté en plus des siens : autant de numéros de catalogue en plus. Depuis 2002, les nouvelles règles de concurrence européenne permettent à chaque pays de lancer un appel d’offres sur les différents imprimeurs agréés et de faire produire ses billets par celui de son choix, dans la limite de trois faciales maximum par imprimeur et de cinq banques centrales minimum par valeur faciale. On va donc pouvoir trouver de nouvelles variantes d’imprimeurs dans des pays qui étaient jusqu’à présent chasses gardées de leur imprimeur national, donc autant de numéros de catalogue en plus. On se demande la taille d’une collection globale, même sans reconstituer les feuilles.

Le problème des raretés et des états de conservation se pose déjà et il n’est déjà plus possible de réaliser ne serait-ce qu’une série de faciales et de pays en neuf, sans parler de chercher en neuf des séries d’émissions ou d’imprimeurs, sans imaginer une seconde de reconstituer des planches en neuf. En effet, à notre connaissance, personne n’a « stocké » quoique ce soit pour la bonne raison que personne ne savait ce qu’il fallait garder… ni où le trouver. Exemple : personne ne pouvait savoir qu’en France, il fallait entre autres garder les 20 euro au code commençant par E (Imprimerie Oberthur, deux émissions en 2002) et non pas les « code L » (Banque de France, soixante-six émissions). Contre-exemple, celui qui aurait cherché les premiers billets de 100 euro imprimés par la Banque de France aurait pu chercher longtemps : la BdF n’a pas imprimé de 100 euro.

Si vous vous attaquez à l’euro, prenez tout ce qui vous passe par les mains dans la circulation, cherchez les neufs plus tard. Vous serez déjà bien contents d’avoir le billet…Certes, il est peu probable que des collectionneurs se lancent dans la reconstitution de planches de 500 euro… mais tout à fait crédible de voir des feuilles de 5 et 10 euro se reconstituer : cela procède la même logique que la recherche des numéros spéciaux, type radar ou suites. En tout cas, quelles que soient les opinions à l’égard de l’euro, c’est une révolution dans le monde de la collection de billets.

d'après l'article original de Michel Prieur (2003)

Retour en haut de page

Dernière mise à jour le 29/09/2010
par Olivier Fournier